• Édith de la Héronnière : Trinacria

    La Sicile est la pays de Verga, de Pirandello bien sûr, de Lampedusa, de Vittorini, de Sciacia et de tant d'autres écrivains tramés d'ombre et de lumière. Dominique Fernandez et Ferrante Ferranti en ont fixé quelques vertiges essentiels. Maupassant, Goethe y effectuèrent un séjour. Lawrence Durrel y a été en villégiature, à bord d'un autocar rouge. Raymond Roussel, écrivain en quête d'extase, y succomba d'une surdose de barbituriques dans l'hôtel où Wagner aurait terminé de composer Parsifal.Mathias Sandorf rejoua la geste du comte de Monte-Cristo sur cette île où Homère avait fait paître les vaches d'Hélios et s'encolérer le Cyclope. Édith de la Héronnière, par ailleurs biographe de Joë Bousquet, est au nombre de ces auteurs dont le rêve s'enracine au feu de Sicile. On comprend mieux, lisant son Du volcan au chaos (éditions Nous, 2017) ou La sagesse vient de l'ombre (Klincksieck, 2017), combien cette île âpre et secrète est en mesure d'irradier la conscience de qui écrit. Trinacria, élégante plaquette publiée au phare du cousseix (2018), vient confirmer et prolonger les vocations comprises dans les autres livres siciliens d'Édith de la Héronnière. Ces quelques pages sensibles, au grand rêve maîtrisé, nous font parcourir le jardin botanique de Palerme, partager l'ombre de citronnier, au soir, sur une terrasse d'Agrigente, le soleil de la fin de l'été. Pour tout dire :  « La noblesse des choses les plus simples. » Il ne s'agit pas là de l'énième journal d'un écrivain en vacances ; ici, le soleil travaille l'écriture depuis l'intérieur, brûle davantage qu'il n'éblouit. Et ceci se livre dans une prose forte autant que sereine, laquelle nous porte loin, bien loin en amitié et en ferveur :

    Partout une fragilité dansante, une intelligence du désespoir, une antithèse profonde à l'esprit bourgeois qui a gagné l'Occident. Le sens e l'amitié prend ici une dimension unique. Il y a ce que l'on vous donne – du pain, de l'huile d'olive, des oranges, des raisins – mais il y a, derrière le don, une réalité : le fait de ne rien garder pour soi. Il s'agit d'un véritable retournement de la tendance habituelle qui nous porte vers les autres pour notre propre avantage. Je ne l'appellerai pas autrement que soin de l'âme.

    Il est également très appréciable de pouvoir lire ce Trinacria en italien dans une traduction de Vera Verdiani mise ne regard du texte français.

    Mathieu Jung (Europe n° janvier-février 2019)

     

     

     


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