• « Intérieur. Nuit », de Frédérique Germanaud (par Antoine Emaz)


    Germanaud  intérieur nuit

    Intérieur. Nuit
    Editions Le Phare du Cousseix, 2018
    16 pages – 7€

    Cette suite d’une dizaine de pages ne forme qu’un seul mouvement, un seul poème à partir d’une situation, un noyau minimal : la nuit, un « je » « attend » pour écrire « toute une histoire / Qui ne s’écrira pas ». Peut-être celle d’une absence comme le suggère ce « cendrier propre depuis trois ans » ? La force du poème tient à sa façon de tenir en équilibre sur très peu, et malaisément : « Je dis dans le carnet cousu // Je mens », mais « Seul le crayon soutient mon poids ».  « J’ai raclé la nuit jusqu’à ces mots mal écrits » mais « Il faut savoir rompre (…) Mettre la nuit / Dehors ». Au bout, le poème est sans poids, comme « le dérisoire de vivre », mais sonne étrangement fort, vrai, simple dans sa narration bloquée à chaque tentative. Il progresse en une sorte de pluie fine, gouttes d’encre d’un ou quelques vers courts, juxtaposés. À chaque fois, il fixe une sensation, une émotion, une ébauche de pensée, puis tourne court pour laisser place à la suivante. Cela donne bien un mouvement d’ensemble du poème, mais en pointillés, sans l’élan tenu et continu d’un chant, et sans le royal isolement du fragment. Plutôt que l’image de la pluie, celle du goutte-à-goutte serait peut-être plus juste. Poème sans bruit ou presque, mais pas sans tension : « J’écris grince en poussant fort le stylo / Je pourrais le faire / Avec les dents », ou bien, plus ramassé encore : « Dehors éteint / Et moi  dedans ». Il y a beaucoup de maîtrise, finalement, et de modestie, sous le « J’écris n’importe quoi ». Une belle réussite : ce livre mince impose une voix.


    Antoine Emaz