• Sur le mode mineur, douce et impérieuse, la voix trop rare du poète Julien Bosc

    Julien Bosc, « Ô tombe bée du sommeil »*

    Pas d’abord une affaire de mots, la posture poétique ; plutôt une manière d’inclure dans un champ entièrement limité pour mieux s’ouvrir à un autre, celui-là au contraire infini. Exigence qui ne se relâche pas, nourrie d’orgueil et de silence ; la voix, pour ne pas dire l’écriture, navigue plus que chez tout autre à l’inverse du bavardage. Il s’agit toujours d’être au plus intime de soi et de ne dire que ce qui est. À ce moment-là. Au monde. Dans ce monde où Julien Bosc compose sa vie.

    Une langue, un outil fait à la main à partir de la lecture intense des œuvres de quelques maîtres du xxe siècle : Bataille, Leiris, Blanchot, pour les plus célèbres. Ce serait donc d’une certaine école de grands esthètes de l’esprit que surgirait l’élève buissonnier. Il s’inscrirait, orphelin fictif, dans une filiation à reconnaître, pour se reconnaître. Quelque part.

    Après tout, ce qui advînt ?
    Peut-être un passage
    Rien d’autre, peut-être, qu’un passage, lequel s’accorde à
    la voix de l’indéfectible passé dont le mur est la preuve *

    Né à Paris ou presque, il a trouvé tôt un second territoire mieux collé à la terre, c’est en effet dans la Creuse qu’il va poser ses mots sur le blanc des pages. Et aussi bien et silencieusement se composer une existence supportant le sourd vacarme de l’écriture. Le visage serait pour la ville, l’œil serait pour la campagne, les textes résultant embrasseraient moins volontiers Paris que la province. En dépit des thèmes qu’elle traverse, l’écriture de Julien Bosc ne concède rien à l’époque, elle (se) rattache à une temporalité essentielle, intérieure ; rarissime aujourd’hui, son raffinement étonne et la rend solitaire.

    Patrice Thierry publia ces deux premiers livres, un texte érotique remarquable, L’Oculus, et un ensemble de courts et implacables récits à teneur fantastique. Les éditions Unes publièrent ensuite un recueil de poèmes, Pas, qui plaçait d’emblée le style épuré de Julien Bosc à la hauteur de ce catalogue exigent.

    Une écriture de l’écorché ramassée en quelques sauts de voix d’une justesse douloureuse qui atteint autant qu’elle cible, c’est la sienne. Plus tard, L’Atelier La Feugraie publiera Je n’ai pas le droit d’en parler, les éditions Rehauts Maman est morte, et les éditions Approches : Tout est tombé dans la mer. (cf. la bibliographie complète sur wikipédia ici)

    Elle, sans âge.
    Lui, sur le fil.
    – Avez-vous parlé ?
    – Jamais, jamais je n’ai pu, je n’ai pu jamais, jamais pu, jamais, mais malgré moi tout le temps, minute après minute, nuit et jour sans répit, ni rien, sans répit ni rien, ni rien pouvoir, rien pouvoir faire, rien pouvoir faire taire, à en devenir folle. Folle.
    – Vous pouvez, si vous voulez, poser votre joue sur ma main, dit-il alors pour la retenir — se retenant lui-même sans savoir, sans savoir du tout comment.

    Ô alouette qui sombra dans le creux d’un arbre *

    D’une pitié sans pitié, et qui dérange, le propos de Julien Bosc n’est pas sans prix, il ne s’agit pas de plaire mais bien d’insister sur une question qui ne se peut résoudre…  Aujourd’hui, aux éditions La tête à l’envers, un long poème dialogué sur fond du drame de la shoah : De la poussière sur vos cils. Comme en écho à certains textes d’Edmond Jabès autant qu’à ceux de Paul Celan, les inflexions sont ici suspendues au fil des questions autant qu’au fil de l’Histoire.

    Elle, assise sur le fauteuil, les bras sanglés par l’infirmière :
    – A-t-elle écrit ?
    – Non (jamais).
    – Dit-elle quand elle va venir ?
    – Non (jamais).
    – Dit-elle quand elle reviendra ?
    – Non (jamais).
    Puis, les yeux fixés sur le mur :
    – Vous m’apporterez sa lettre quand elle arrivera ?
    – Oui (jamais).
    – Nous allons lui écrire une lettre.
    – Si vous voulez (jamais).
    – Il faudra l’envoyer ce soir.
    – Ce soir si vous voulez (jamais).
    – Me lirez-vous sa lettre quand elle arrivera ?
    – Oui (jamais).
    – Vous me la lirez, la lirez sa lettre, n’est-ce pas ?
    – Oui (jamais). *

    Sans doute un art de la distance en même temps qu’un art de la douceur, celui qui verrait se tisser des prières sans implorations, des mots juste faits pour souligner un réel impalpable parce que trop présent. Parce que dire une tragédie quand elle est en soi, un naufrage de l’humanité ne peut se faire qu’à mots murmurés, mots doux et tranchants tout à la fois. Pas de littérature à cet endroit, laisser plutôt parler la chapelle ardente d’un mémorial intime où l’être désarmé se recueille à son tour.

    Ô interstice du lieu
    ô lieu où rien *

     

     jean-claude Leroy (blog sur Mediapart, 20/12/2015)

     

     * Julien Bosc, De la poussière sur vos cils, La tête à l'envers, 2015, 13,50 €.