• Dans la revue "Europe", note de lecture de Jacques Lèbre

     

    Marie-Paule BLEIN : Le récit est une voix timide (Le Phare du Cousseix, 7€)

     

                Sans doute ne suis-je pas trop mal placé pour parler de cette plaquette, puisque je connais et l’auteure et l’éditeur qui sont (ne le cachons pas) des amis. D’un côté nous avons une Marie-Paule Blein qui sème ses poèmes et qui s’en éloigne sans se retourner (Liberté grande, titrait un écrivain connu) ; elle ne les entoure pas spécialement de soins, ne les grillage surtout pas et tant pis si les chevreuils qu’elle peut voir de sa maison viennent brouter les pousses dans son dos. Plus sérieusement : « Des phrases mal construites s’effondreront / manque de remaniement / de chantier permanent / atteler à leur harmonie », pouvions-nous lire dans Chaque réveil m’étonne (Les Adex, 2003).

                De l’autre côté nous avons un éditeur (Julien Bosc1 ) qui sait faire son travail d’éditeur. Il se promène dans le fouillis des pousses et pratique la taille (mais sans bouturer) de façon à ce que certaines d’entre elles prennent assez de vigueur pour devenir arbres (pardon, des poèmes). Ensuite, il ne reste plus qu’à trouver un ordre dans la succession des pages — et tel qu’il puisse faire, presque, un récit : « Le récit est une voix timide / Le poème un fruit de réserve ».

                Il n’y a pas d’assurance, pas de posture chez Marie-Paule Blein (« je suis comme une vague tapant les bord des abîmes »). On dirait plutôt que les doutes et des incertitudes crissent en permanence sous ses pas de marcheuses (un temps professeur d’anglais après avoir exercé divers métiers, Marie-Paule Blein est guide-interprète en Morvan et pour le musée de Bibracte) : « Nous avons marché fantômes / Seules les feuilles étaient bavardes ». Cela n’apparaît pas dans cette dernière plaquette, mais dans cette poésie qui se déploie d’une façon plutôt confidentielle depuis plusieurs années, les offuscations et les révoltes ne sont jamais très loin : « Les haies de mon village ont été coupées / le vent n’a plus d’arrête / […] les chemins s’engloutissent de honte / […] l’uniforme ne convient pas à la nature », lisions-nous dans Tissages mouvants (Les Adex, 2007). Rien n’est jamais pérenne, semble-t-il, ni autour de soi ni en soi, et c’est bien ce à quoi cette poésie semble être le plus sensible, mais sans que l’on sache vraiment si c’est un regret ou une joie. Il se peut que cela oscille. Seuls les fanaux des noms de lieux semblent être quelque peu rassurants, car eux seuls relèvent peut-être d’une permanence, à moins qu’il n’en soient le rêve : « C’est en ces noms réels de lieux que je me promène / […] La langue parle d’eux ».

                Au pied du Haut-Folin dont les pentes ressemblent au flanc d’une bête endormie qui se creuse et se soulève au gré de la respiration, Marie-Paule Blein semble se moquer des racines et choisir (ou préférer) le nuage : « Contente-toi des nuages / Des prés / Attends-toi aux ravages / La tranquillité nous guette aux tombes futures ». Notre destin commun est si peu oublié qu’il implique de savoir profiter de l’instant, des instants. Dans une totale absence de fixité (et comment penser que nos vies puissent être fixées comme un dessin qui ne bougerait plus), mais dans le souci d’un accord (possible / Impossible ?), la poète se l’auto-suggère tout à la fin de la plaquette, avant d’en sortir pour s’échapper dans la nature, comme à son habitude : « Commence enfin une vie / De brindilles ».

    Jacques LÈBRE

     

    Europe, mai 2015, pp. 336-337 



    [1] Julien Bosc, Pas, Unes, 1999 ; Je n’ai pas le droit d’en parler, Atelier la Feugraie, 2008 ; Maman est morte, Rehauts, 2012)