• Le «grand seul» de Julien Bosc

    Patrice Beray (Mediapart)

     

    Les éditions du Réalgar ont publié dans les premiers jours de l’été « Le coucou chante contre mon cœur », ouvrage posthume de Julien Bosc (1964-2018). Il faut presque en avertir ses lecteurs potentiels : il s’agit là, dans le contexte de la poésie contemporaine de langue française, d’un livre absolument singulier, ultime, et extraordinaire à bien des égard

    Parler de « dernier » livre paru sera peut-être, pour une fois, le terme exact pour évoquer Le coucou chante contre mon cœur, quatrième* ouvrage posthume à être édité de Julien Bosc. Peu après sa mort en septembre 2018, à l‘âge de 55 ans, La Demeure et le Lieu avait durablement éclairé sur la faculté du poète à s’approprier un univers de vie rendu familier par la grâce de moments passés ou présents finement raccordés.

     

    Julien Bosc, Angers, 2014. © Jean-Claude Leroy
    Julien Bosc, Angers, 2014. © Jean-Claude Leroy

     

    Lecteurs et critiques attachés à l’édition indépendante savaient pour l’exigence d’écriture de Julien Bosc justement saluée lors de la parution de titres précédents, par exemple Le Corps de la langue, De la poussière sur vos cils (tous deux en 2016). Ainsi l’ingénuité de ce titre, Le coucou chante contre mon cœur, peut-elle étonner, mais c’est que le poète en a d’abord après le chant, cette épure de son œuvre. Comme dans ce dizain, un des tout premiers du volume :

    « Je ne sais ce qui m’arrive
    Fors ce silence
    Cette traversée
    Dans le passé de la forêt ou la mer
    Tantôt un fou de Bassan
    Tantôt une chevêche
    Il et elle très âgés
    Qui les ailes faibles
    Qui borgne
    Un cri un baiser. »

    Ce poème fulgurant, à la teneur ramassée ici en une suite nominale (ailleurs, ce seront des infinitives), est introduit par une phrase déclarative (négative) qui signifie bien que nous sommes au seuil d’une expérience, où être et dire vont être extraits de la même matière, altérée, du vivant.

    D’emblée, une relation est instaurée, en dialogue, entre le poème et le « Livre » à venir dont les traces formelles peuvent être perçues dans la disposition de la grosse centaine de dizains en vers irréguliers qui composent l’ouvrage – un seul dizain étant placé en page de gauche, deux en page de droite. « C’est que respire en moi le grand amour du Livre », énonce le poète. Précisant :

    « Non pas celui qui fut offert
    Allégé de voyelles
    Celui qu’il faut écrire
    Partant de rien
    Après chaque point de rien
    Tant bien que mal
    […] »

    De mythique et immémoriale, l’aspiration au « Livre » devient épico-historique, politique comme le souligne Jean-Claude Leroy dans sa postface à l’ouvrage, et il faut reprendre sur quelques vers la lecture de cet unique dizain de l’ouvrage à se poursuivre à la tourne des pages :

    « […]
    Sans faiblir ni lâcher
    Pour sauver ceux qui prennent aujourd’hui la mer
    Parviennent sur ces terres riches en paix mais naguère du désastre
    Frères sœurs que nos terres amnésiques refoulent et supplicient même fois,
    […] »

    Dans la suite de ce dizain à la lecture en « rouleau », survient l’image du « phare » d’où le poète avait vue, dit-il en substance, sur les quatre côtés du monde, de l’humanité. C’est là, noyé dans un océan d’indifférence, de la Creuse où il avait tôt choisi de se retirer, qu’il imagina et réalisa, en quête de cette « fraternité que le monde a perdue », les opuscules si précieux de sa maison d’édition dénommée, précisément, Le Phare du Cousseix.

    « Je découvris le grand seul
    Aussi des fleurs et des oiseaux
    Ah compagnes et compagnons d’imaginaires ! »

    En son principe créateur, la présence naturelle du monde peut dispenser au poème, à foison, ses prodiges :

    « Ce qui manquerait si la mémoire ?
    Les longues promenades à travers bois et forêts
    Le tête à tête inattendu avec le chevreuil et la biche
    L’odeur des champignons et celle du fumier dans l’étable
    Les æschnes bleues à la surface de la rivière
    Les callunes de fin août à septembre
    Les queules autour des ruines
    Le silence de la neige
    La toute première jonquille
    Et livre ouvert sur son sein femme nue endormie au milieu du jardin. »

    Mais ce « Livre » qui est venu au poète pour qu’il y confie ses espoirs et ses terreurs trouble, émeut même par les récits d’entre la vie et la mort qu’il y recueille et relate, explorant ce faisant une veine épique rare dans la poésie de langue française. Ces visions d’autres mondes possibles, de relations réparatrices, loin des « possesseurs sans partage » du monde connu, peuvent apparaître comme des initiations à jamais perdues avec les puissances spirituelles (des intermédiaires, des fantômes, des apparitions) qui ont fait don à l’auteur de leur présence, comme un voyage sans retour vers ceux que la vie supplicie :

    « Toutes les nuits qu’elle vint elle m’apprit un dizain
    Mes bras visités dernière fois
    Elle m’annonça retourner vers les siens
    Les morts étant plus justes
    Que ne sont les vivants
    […] »

    « Ce qui manque à l’oubli ? » Il faut alors se souvenir que Julien Bosc a longtemps étudié la sculpture, la statuaire lobi au Burkina Faso, dans la région de Gaoua, s’attachant en particulier à la question de la restitution de « l’apparence » humaine. Comme il l’énonçait lui-même, la vie toujours précède la disparition du corps et l’œuvre de destruction du temps.

    *

    Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur, postface de Jean-Claude Leroy, coll. L’Orpiment, Le Réalgar, 2020, 82 p., 15 euros.