• Un entretien avec Louis Dubost

    Entretien avec Louis Dubost, précédé d'une lecture de ses poèmes

    par : Eric Pistouley

      

    A force
    de jouer à vivre

    on n’écoute plus
    le temps venir à soi

    … « et le temps s’enfuit sans tourner la tête ».

    Voici un recueil de quinze pages à peine qui tiendra lieu de compagnon de route à beaucoup d’entre nous.

    Le vers à l’amble calme, parfaitement, aborde le grand âge, le « bord de l’abîme ». Parfaitement, mais que veut-on dire par perfection ? sinon une adéquation entre le sujet et la langue pour le dire. Et ce rien en plus, le génie.

    Les fêlures et le reflux
    vous entraînent vers
    les sources d’une existence
    aux trois-quarts parcourue

    Se pencher sur sa jeunesse est un exercice courant, souvent dans le but de transmettre aux jeunes gens quelques recettes d’agitation. Là, c’est une autre offrande. Le poète veut-il retrouver quelque désert intact, une belle ruine ? non, un réel que  viennent masquer d’ordinaire les ramures généalogiques. Lisons la suite :

    en leur creux et reliefs
    l’ossuaire natal
    son silence
    solaire.

    Plus que jamais solaire, en effet, Louis Dubost n’est pas ingrat, ne reproche rien à cette longue vie qui lui a appris à vieillir. Ni reconnaissant, il regarde juste, d’un regard aiguisé, jamais blessant.

    Et puis, il y a mieux à faire que d’imiter Sénèque. Commencer par ne plus espérer donner un visage à ce qui n’en peut avoir et demeurer là « embrumé de lumière ».
    Mais surtout « attendre / intransitif ».
    Libéré des objets (directs ou indirects)

    en peau de chagrin
    un peu plus recroquevillée
    sous le soleil toujours plus haut.

    Chaque nouveau jour est comme le dernier mot du poème, il vient à point.

    Éviter de disserter trop pesamment sur ces pages si bellement et simplement imprimées au plomb, et libres d’être cousues par leur lecteur en cas de grand vent. Il vaut mieux revenir aux poèmes, directement, là, dans le soleil.

     Trois questions à Louis Dubost :

    — À la lecture de Fin de saison, je me demande où vont vos pensées, dans l’abîme ? vers le soleil ?

    Fin de saison rassemble une bonne douzaine de poèmes tirés d’un ensemble en cours d’écriture sur le thème du « vieillir / mourir », ce qui n’est pas très original compte-tenu de mon âge — cette année, j’arrive à l’âge de mon père lorsqu’il est décédé. Me voici donc au bord de l’abîme (la mort) mais encore debout sous le soleil (la vie). Plutôt que ressasser avec regret et angoisse le passé (qui n’est plus), j’essaie d’envisager avec une sérénité minimale ce qui « est » à venir, le restant à vivre. Certes, la fin est inéluctable mais cette contrainte « métaphysique » ouvre un espace de liberté au poème : non pas un assemblage de mots (innocents), mais un langage qui ait du sens, qui précise le sens de tout ce qui est la vie. Ce qui me préoccupe, ce n’est pas tant mourir que « cesser » de vivre : : tant qu’on peut parler ou écrire, on n’est pas mort. En ce sens, j’espère, comme tout jardinier, une « belle » fin de saison ! Là aussi, je n’invente rien, je m’inspire de quelques « éveilleurs de pensée » qui m’ont marqué, tel par exemple Épicure.

    — Un petit tirage, soigné, pour qui écrivez-vous ?

    Oui, c’est un sobre et beau petit livre, typographié à l’ancienne et avec des pages non coupées. Il faut en féliciter le jeune éditeur, Julien Bosc, dont le choix de la fabrication des livres est à rebours des technologies nouvelles, apparemment. Certes, un petit tirage (200 ex.), pas seulement modeste mais « honnête » : l’éditeur promet ainsi de trouver 200 lecteurs, ce qui tout de même rend l’auteur un peu moins seul ! Dans ma vie antérieure d’éditeur, lorsqu’on me posait ce genre de question, je répondais que je savais faire 100 livres à 1000 ex., mais pas 1 seul livre à 100 000 ex. ! Au Phare du Cousseix, j’écris pour 200 lecteurs, puisque telle est l’offre ; si la demande augmente, on peut toujours opérer un retirage !

    — En tant qu’éditeur, vous recommandiez aux jeunes impétueux qui voulaient à tout prix se faire imprimer de commencer par lire les autres poètes. Sans doute vendiez-vous moins de livres « Au dé bleu » que vous ne receviez de manuscrits. Que vous inspire le fait que maintenant chacun puisse faire son livre sur internet ?

    Lors de l’aventure du « Dé bleu », bon an mal an, je recevais environ 500 manuscrits… Dont des romans, des nouvelles, des thèses de doctorat, des recettes de cuisine, etc. Et de la poésie dont les auteurs ignoraient mon catalogue et les choix qui orientaient ma pratique éditoriale. Ça m’a agacé et j’ai écrit une Lettre d’un éditeur de poésie à un poète en quête d’éditeur (éditions Ginkgo) : elle n’a rien perdu de sa pertinence et elle est encore distribuée en librairies : qu’on la lise ! Aujourd’hui, chacun peut publier un livre sur internet ce qui a des avantages : l’auteur a enfin son livre qui lui permet d’exister ès-qualité ; et c’est autant de manuscrits inopportuns qui n’atterrissent plus chez les éditeurs. Mais aussi des inconvénients : comment trouver des lecteurs pour ce livre-bouteille jeté dans les océans de la web-planète ? Question récurrente pour tous les « faiseurs » de livres. C’est tout de même quelque part « des » lecteurs qui « font » un écrivain.

     Recours au poème